La traversée de l’Arménie : un melting-pot de paysages montagneux superbes et variés, de rencontres plus sympathiques les unes que les autres mais des routes parfois bien douloureuses (pour les cuisses) !


Après notre nuit à Alaverdi, ça se corse, la route est fermée et même pour les vélos cela ne passe pas (ils font un tunnel !). On a repéré une route sur la carte mais il faut monter sur un plateau qui borde la vallée.  On entame donc la journée par cette jolie côte avec vue sur la vallée, ça brule les cuisses mais c’est vraiment magnifique ! La route se prolonge par quelques kilomètres sur le plateau et là nous nous faisons interpeller à une intersection par de nombreuses voitures dont des militaires qui nous disent formellement qu’il est impossible de reprendre la route principale par où nous le souhaitons et que nous devons passer par une autre grande ville (Stepanavan, ce qui nous ajoute au passage 50km). Après une bonne demi-heure à hésiter nous nous résignons donc à suivre les conseils de la douzaine d’arméniens interrogés et à prendre l’autre trajet par Stepanavan. C’était sans compter sur notre entêtement : après à peine 300m et quelques « je suis sûr que ça passait » nous décidons de faire demi-tour pour reprendre le chemin que nous avions planifié initialement.



Et quel chemin ! Après la traversée d’un dernier village, la route se transforme en une piste de terre qui descend dans une vallée. L’endroit est magnifique, sans asphalte, avec deux trois habitations mais surtout une nature splendide ! On descend dans cette petite vallée (l’occasion au passage d’une belle gamelle pour Cécile – ouf juste quelques égratignures - !) puis on remonte pour descendre à nouveau et enfin retrouver la route principale. On se retrouve alors dans un décor fascinant, digne d’un documentaire sur la vie dans les années 50 sous l’URSS : tracteur tout rouillé qui déplace des kg de cailloux dans un bruit infernal, ciel orageux et pluie, village à moitié abandonné, pique-nique sous une maison en ruine, vieille dame qui ramène ses trois vaches à l’abri…Mais bon on est tout content d’avoir réussi à retrouver la route, surtout que les ouvriers croisés semblent trouver tout à fait possible de rejoindre Vanadzor par la route! Bon quelques kilomètres plus loin on se retrouvera face à un énorme tas de rochers qui encombre la route mais un second buldozer s'empressera de nous dégager un chemin: effectivement, ça passe! La route reste néanmoins très mauvaise, il est déjà tard et cette trentaine de km qui reste s’annonce difficile. Heureusement18km avant Vanadzor, un camion d’ouvriers s’arrête et nous propose de nous emmener, ce que nous acceptons avec joie. Pour la petite anecdote, l’un d’eux se mettra à chanter joyeusement « Aux champs Élysées » lorsque nous lui dirons que nous sommes Français !


Vanadzor est un peu à l’image des premières impressions de l’Arménie : une ville triste aux relents de communisme et monotone de cette couleur rose-gris dont sont bâtis les murs. On commence se faire notre petite idée des différences entre la Géorgie et l’Arménie. La Géorgie qui bénéficie de vallées relativement fertiles et surtout d’une culture propre très marqué a réussi bien garder son identité et même si la plupart des personnes âgées dans les campagnes semblent regretter l’URSS, on sent que le pays commence à bien relever la tête. A l’inverse, l’Arménie reste un pays « rude » (qualificatif très justement trouvé par l'espagnol Elias) et semble parfois presque abandonné. Le pays souffre d’une part d’une géographie très montagneuse (neige en hiver, sécheresse en été !) et d’autre part des mauvaises relations avec les pays voisins (rien que sur le siècle dernier, l’Arménie a enchaîné un génocide du côté turc, l’URSS puis la guerre avec l’Azerbaïdjan). Ainsi, on le verra d’autant plus dans la suite du voyage, chaque village est accompagné de son lot d’usines abandonnées, de carcasses de voitures, trains, camions ou bus et de maisons en ruines. On retrouve cette pauvreté dans le contenu des supermarchés où il est parfois difficile de trouver autre chose que de la Vodka, des bonbons en vracs, des pâtes et des oignons. A vrai dire, on se nourrit principalement de pâtes aux oignons donc ça ne nous dérange pas vraiment! Et attention, l’Arménie reste un pays splendide avec (la plupart du temps) une population accueillant et chaleureuse qui vaut vraiment une escapade touristique !

Bref, pour en revenir à notre récit, nous ne nous attardons pas à Vanadzor pour une visite approfondie (d’autant que le soleil commence à tomber) et nous trouvons un verger pour poser la tente (on est vraiment proche de la ville et on a un peu l’impression d’être dans le repère des trafics en tout genre mais bon, ça passe !).


Après une bonne nuit nous reprenons la route avec un peu d’avance sur Elias, qui doit nous rattraper.  Après une heure de belle montée, la pluie commence à tomber, nous ressortons sur-pantalons et sur-chaussures (ils ne nous avaient pas manqués !) et on roule tant bien que mal sous cette pluie gelée. Après 25km et une belle descente glaçante nous nous réfugions dans un restaurant en bord de route pour nous réchauffer en guettant Elias par la fenêtre. Ici, les Arméniens sont peu bavards et après une heure et demi, nous commençons à trouver l’endroit vraiment glauque et nous décidons de reprendre la route vers Dilijan à 5km. Nous sommes tristes pour Elias et nous nous sentons coupable de l’avoir abandonné sous cette pluie. Mais le destin joue en notre faveur et moins de 5 minutes après notre départ, nous entendons des cris ! Il est là ! Le pauvre est congelé et il nous dit qu’il fonce à Dilijan pour se mettre à l’abri, qu’il n’en peut plus. Il nous semble clair, que la journée s’arrêtera là ! Nous sommes gelés, Elias est au bord de l’hypothermie et nous devons chercher un endroit où dormir. Il nous faut impérativement un toit dur et une douche chaude ! Après un premier essai couchsurfing (un des seuls d’Arménie en dehors de Yerevan la capitale) qui s’avère en fait être une maison d’hôte hors de prix, nous partons en quête d’un endroit. Et là, sur la route, Edouard voit les sacoches arrière d’Elias se décoller du sol et passer par-dessus sa tête en un énorme soleil très impressionnant. On se rend tout de suite auprès de lui pour voir comment il va, il ne répond pas, il est en état de choc, étalé sous son vélo au sol. Après quelques secondes, il nous répond qu’il va bien, il s’en sort avec une douleur au coude et à la tête (heureusement qu’il avait son casque !). La fourche de son vélo s’est tordue sous l’effet du poids, mais il devrait réussir à atteindre Erevan pour la faire réparer. On prend conscience que l’on est bien trop fatigué pour chercher pendant des heures un endroit où dormir et on négocie une auberge à bon prix dans Dilijan.


La route entre Dilijan et le Lac Sevan commence par une belle côte de 600m de dénivelé avec au sommet un tunnel de 2km (notre premier du voyage, le stress !). Juste avant le tunnel on se fait arrêter par des douaniers en train de picoler leur vin maison. Ils nous invitent à le partager, Elias parle quelques mots de Grec avec eux (beaucoup d’Arméniens semblent parler Grecs dans le coin). Ils finiront par partir en nous laissant un bon quart du bidon de 3 litres de vin. Nous reprenons la route et le tunnel. Même s’il est éclairé, on fait pas les malins et on reste bien en file indienne avec nos gilet jaunes (2km c’est long !).



L’arrivée sur le lac est splendide, cette étendue d’eau à près de 2000 m d’altitude est entourée de montagnes partiellement enneigées. Nous nous posons sur la presqu’ile de Sevanank, un monastère très touristique où après avoir monté difficilement les vélos, les touristes ne cessent de nous demander des détails sur notre voyage (c’est vraiment sympa mais au bout de 5 touristes, on a bien envie de se poser !). Le site de bivouac est magnifique et on finira la soirée à chanter avec Elias autour du feu.


Le lendemain, on se sépare d’Elias qui bifurque vers la capitale tandis que nous avons décidé de longer le lac. Mais nous devrions sûrement nous retrouver en Iran ou dans les pays en -stan ! Nous enchaînons avec une journée tranquille le long du superbe lac Sevan et profitons d’un second superbe bivouac au bord du lac. Depuis Martuni où nous quittons le lac, nous devons attaquer un premier col pour descendre vers le sud. La journée est déjà bien entamée et nous nous arrêtons pour déjeuner avant le début de la montée, dans un petit village au pied de la montagne. Le vent nous gêne un peu et nous décidons de nous asseoir sur les marches d’une allée pour s’abriter. C’est à ce moment qu’Anousch sort de sa maison et nous invite chez elle. Elle et Babkin, son mari, nous régalent de quantité de mets succulents et nous buvons le sirop d’une conserve maison d’abricots vraiment très bon. Nous communiquons tant bien que mal en russe et anglais et nous repartons le ventre plein et les sacoches remplies de victuailles. Une très belle rencontre qui nous donne du courage pour la montée qui s’annonce !



La montée au col commence, elle est longue, très longue, mais les paysages sont magnifiques et l’on ne cesse de faire des pauses pour admirer les montagnes enneigées qui nous entourent. En redescendant de l’autre côté, nous pouvons observer notre premier Caravansérail (on est bien sur la route de la Soie !), l’un des mieux conservés d’Arménie. Au moment de repartir, un jeune nous interpelle en anglais et nous propose de venir partager leur barbecue. Nous n’avons pas vraiment faim mais nous nous joignons à eux pour discuter un peu d’autant plus que l’un d’eux vis en France et parle parfaitement Français. Nous repartirons avec encore un peu plus de victuailles dans nos sacoches déjà bien remplies !



Le jour commence sérieusement à tomber quand nous partons du Caravansérail et il est temps de trouver un endroit où dormir. On veut redescendre pour gagner un peu de chaleur et nous apprécions donc la longue descente vers la vallée sans donner un coup de pédale. Arrivés dans le premier village, nous repérons un grand pré parfait pour camper. Nous demandons l’autorisation aux villageois qui habitent juste à côté et nous retrouvons entourés d’une ribambelle d’enfants dont Elisa et Sveta, 15 ans qui parlent bien anglais. Nous finissons par nous faire accueillir dans cet assemblage de deux familles voisines et avons le droit à un gros banquet le soir arrosé de vin (pour tout le monde, même David et Balchik, 7 et 9 ans) et de vodka pour les hommes.


  


Le lendemain on se réveille à l’aube (enfin, 8h ! Mais habituellement on décolle plutôt entre 11h et midi le temps de préparer le petit déjeuner, plier le bivouac, charger les vélos…) parce qu’on accompagne les enfants à l’école. On est bien curieux de voir comment fonctionne l’école et excités par l’opportunité d’intervenir dans un cours de Français. C’est étrange de se retrouver dans cette école où les affiches décrivant différentes armes de guerre voisinent les portraits de grands généraux soviétiques. Sevan, le prof de Français nous accueille, il nous donne beaucoup de détails sur l’histoire de l’Arménie puis après 45 minutes il nous invite à assister à son cours. Nous nous retrouvons dans une classe de 8eme (il y a 12 classes en Arménie) avec seulement 5 élèves ! Le cours de 45 minutes fini vite par tourner autour de notre présence et nous terminons par un « Aux champs Elysées » avec la guitare avant de reprendre la route…sous la pluie.


La montée d’hier nous a bien entamés et cette pluie nous déprime un peu, nous écourtons rapidement la journée à Vayk où nous nous installons dans une chambre d’hôtes (une bonne bière et une bonne douche, ça fait plaisir !).


Le lendemain, c’est reparti pour un gros col ! cette fois-ci, c’est plus de 1000m de dénivelé qui nous attendent mais il fait beau et la nuit nous a bien reposés ! Ce col sera l’occasion de trois rencontres aussi différentes les unes que les autres. D’abord Sveta Biker, un cycliste russe complètement surexcité qui passe au moins 20 minutes à nous parler en Russe au milieu de notre montée (lui descend) on repartira sans avoir compris grand-chose mais avec une adresse à Moscou ! Ensuite, à quelques mètres de la fin du col, un gros camping-car s’arrête et c’est un couple Neo Zelandais/Israelien, Ruben et Varda, qui nous invite à prendre un café au col, ils font la route de la soie (sans l’Iran, fermée aux israélites) et nous parlons voyage, visas etc. Puis dans la redescente, c’est Marie et Stinj qui nous interpellent depuis leur gros Defender Land Rover, un couple suisso-Belge de vrais baroudeurs très sympathique. Nous décidons de bivouaquer avec eux quelques kilomètres plus loin dans un superbe endroit avec encore un lac et des sommets enneigés : le réservoir Spandaryan. Nous passons une excellente soirée et espérons avoir l’occasion de les recroiser par la suite. Malgré leur voiture, ils prennent le temps de voyager lentement et prévoient également de suivre la route de la Soie. Bon en attendant, eux rejoignent l’Iran dès le lendemain tandis qu’il nous reste une bonne semaine de vélo avant la frontière ! Le lendemain, petit déjeuner à base de café instantané et salade de fruits frais. Ça fait plaisir de parler un peu en français de bon plans voyage et autres péripéties ! Nous quittons Marie et Stinj en nous promettant de les recroiser sur la route !



Nous pensions que la route entre le réservoir et Tatev allait être une partie de plaisir : une ligne droite tracée dans la plaine avec peu de dénivelé et bien nous nous trompions ! On a encore eu le droit à un bon 1000m de D+ ! Seule la descente vers Shinuhayr, le village avant Tatev nous a consolé et nous nous sommes endormis bien fatigués à côté de téléphérique qui emmène les touristes au monastère. Et les jours d’après n’ont pas laissé nos jambes tranquilles non plus…On décide de snober le téléphérique bien trop cher et touristique pour nous et de faire en vélo les 16km jusqu’au monastère (contre 5km de téléphérique tout de même, le plus long du monde qui fait la fierté des arméniens !). La montée vers Tatev s’avère extrêmement raide et nous n’avons cessé de regarder avec envie et regret les câbles du téléphérique qui surplombent la route ! Mais une fois arrivés en haut on oublie vite la fatigue et bénéficions de la vue imprenable sur la vallée. Quand il s’agit de repartir c’est une autre affaire. La montée n’est pas finie et nous sommes sur les rotules. Enfin, surtout Cécile dont l’absence totale d’entrainement sportif durant les 27 années passées commence à bien se faire sentir ! On a donc fait appel à l’une de nos armes suprêmes (non ce n’est pas le chocolat, non ce n’est pas la bière :)) : La corde ! Encordés avec Edouard devant et Cécile derrière, nous ne formons plus qu’une seule équipe et nos encouragements respectifs ne vont plus à l’un ou l’autre mais bien au binôme que nous formons. Après un petit bivouac charmant au bord de la rivière on atteint Kapan en début d’après-midi où nous nous accordons une petite pause hôtel pour bénéficier du wifi et suivre les tristes élections françaises. Le chemin entre le téléphérique de Tatev et Kapan nous aura pris deux jours et malgré la très mauvaise route (notamment une longue descente vers Kapan dans les graviers qui demandent beaucoup de concentrations) et le dénivelé, on ne regrette vraiment pas le détour qui nous a permis de découvrir des paysages de montagnes toujours différents.


Après Kapan, on commence vraiment à penser à l’Iran dont seulement deux ou trois jours nous séparent. Cette fois-ci encore, on décide de ne pas suivre la route principale mais d’emprunter la route secondaire qui longe le parc Shikahogh. La route est pratiquement neuve (vive l’asphalte !) mais presque déserte (on croise à peine une dizaine de voitures par jour !) et traverse des paysages sauvages et magnifiques. Le dénivelé est encore bien là et continue de mettre nos cuisses à l’épreuve mais la beauté des paysages (malgré le temps grisâtre) nous motive. Et maintenant pour chaque grosse côte on sort la corde ! On apprécie vraiment rouler de concert, ça nous motive, nous donne un rythme et permet de mieux équilibrer les forces (il fallait bien qu’Edouard face un peu de sport aussi !). Au final, c’est presque plus dur pour Cécile qui doit pédaler plus vite pour suivre le rythme d’Edouard mais ça permet également de faire passer la montée plus rapidement ! Après le dernier col c’est une merveilleuse descente de 1300 mètres de dénivelé qui nous mènera à la frontière de l’Iran. Un dernier bivouac au milieu des luxuriants vergers de cette partie de l’Arménie puis une vingtaine de kilomètres le long de la vallée et des barbelés (mais oui, c’est l’Iran qu’on voit de l’autre côté !) et on arrive à Agarak, petite ville frontalière. Si le village n’a rien d’extraordinaire, on s’est promis de prendre une douche et une dernière bière avant de passer la frontière. Demain on sera en Iran !


Quelques Stats :

  • On a passé plus de 50h le cul sur la selle depuis Tbilissi !
  • Plus de 19 000 mètres de dénivelé positif depuis le début du voyage dont plus de 10 000 en Arménie !
  • On va passer les 2000km quasiment pile à la frontière Iranienne
  • On doit enlever, remettre, enlever, remettre polaire et gortex au moins 50 fois par jour ! c’est quoi la meilleure tenue pour un cycliste ?!
  • On n’a rien perdu en Arménie à part des litres de sueurs
  • Le soir on mange 400g de pâtes à deux

Bon on n’a plus d’appareil photo juste un portable de piètre qualité, donc un peu frustrant de mettre ces PHOTOS qui rendent peu justice à la beauté des paysages ! Peu de lumières et des montagnes enneigées en toile de fond qui s’impriment très mal. Bref, on vous laisse imaginer tout ça en beaucoup mieux !